Texte de Jean Julien lu lors du rassemblement pour Jean-Yves Le Gall

lundi 2 février 2009
par  udas
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J’étais instituteur, directeur d’école.
Je suis ici pour bien des raisons.
J’ai travaillé syndicalement, pédagogiquement, avec plusieurs des directeurs qui refusent de renseigner Base-Élèves. Je les connais bien , je les estime. Ils disent non à l’inacceptable. C’est la moindre des choses d’être à côté d’eux. Fraternellement.
Une autre raison, c’est que je suis grand-père.

J’ai vécu le temps où, instituteurs, nous étions les maîtres de notre travail.
Concevoir et fabriquer ensemble des outils, apprendre le métier en allant dans les classes des uns et des autres, discuter quand c’était difficile...
Accompagner les enfants, leur donner les moyens de s’exprimer, de communiquer ; leur apprendre à s’organiser ; leur faire comprendre la nécessité des lois, de lois pour vivre ensemble, faites en commun ; laisser les enfants se tromper, tâtonner, découvrir... je suis convaincu que cela reste le cœur d’une éducation durable.

Et j’entends maintenant le manque de temps, les pressions, la traque de la rentabilité, je lis le ressenti de l’un des 170 réfractaires à Base-Élèves : "l’école n’est plus un lieu qui se gère lui-même mais un lieu géré en temps réel de l’extérieur et à son insu, l’école n’est plus un lieu qui pense mais un lieu qui est pensé."

Dans ce plan qui est en route, le tâtonnement expérimental, l’accompagnement des enfants, l’humain ne sont pas cotés : cette école à laquelle nous avons apporté une pierre d’humanisme, les naufrageurs sont en train d’en faire une machine à produire les cadres, les exécutants, les chômeurs dont le système a besoin.

Un fichier, on sait où ça commence, on ne sait jamais où ça peut aller, celui des empreintes génétiques a dérivé jusqu’aux faucheurs de maïs...
Et dans notre environnement de jungle ultra-libérale, on peut vraiment, sans rire, se porter garant de l’usage d’un fichier ?
Qu’en plus, l’enfance soit dans la nasse n’est pas tolérable.

Au sortir d’un conseil de discipline, dans les années 70, j’ai entendu, si j’ai bonne mémoire, le délégué syndical qui venait de défendre le collègue, expliquer qu’il avait plaidé la tradition universitaire.
Le 9 décembre dernier, un petit groupe de parents et de grands-parents réunis devant l’Inspection académique opposait un barrage symbolique à l’entrée des directeurs convoqués pour se former à Base-élèves. La police avait été appelée et le représentant de l’I. A., très présent, ne s’est pas opposé à ce que des policiers sortent leurs triques d’emblée et, je peux le certifier, les utilisent.

Il se pourrait que les traditions universitaires soient en train de se perdre.

La Résistance des années 40 leur fait encore peur : "Il s’agit aujourd’hui de sortir de 1945 et de défaire méthodiquement le Programme National de la Résistance" écrivait en octobre 2006 un ancien numéro 2 de MEDEF.
Une résistance qu’ils couvrent de sur-commémorations pour la récupérer, la délayer, pour faire oublier que c’était non seulement un combat contre l’envahisseur mais aussi pour un pays plus juste, pour la dignité des travailleurs, un combat contre l’État Français qui raflait, qui emplissait des camps et qui déplaçait les instituteurs.

Un État Français auquel le leur se met parfois à ressembler.
Les résistances d’aujourd’hui, ils les répriment. Une sanction est une sanction et c’est bien une sanction dont il est question pour Jean-Yves, directeur indocile et syndicaliste notoire.

Ce qui se passe maintenant n’est plus rendu possible que par un conditionnement en route depuis bien du temps. Mais maintenant, les blés sont sous la grêle, le temps est venu de se serrer les coudes, de retourner aux syndicats, aux mouvements pédagogiques, d’y travailler.
Dire non au gâchis, désobéir, dire oui à la vie... avons-nous oublié ?
Et parce que, dans le déni de vie qui est en route, il y a de l’absurde, se souvenir de Camus : Je tire de l’absurde trois conséquences qui sont ma révolte, ma liberté et ma passion".

Jean Julien, le 29 janvier 2009