Le mythe de l’école inclusive

jeudi 8 octobre 2015
par  udas
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Depuis que je travaille dans l’A.I.S (adaptation et intégration scolaire) devenue A.S.H (adaptation scolaire et scolarisation des élèves handicapés), il y a un problème récurrent qui ne facilite pas toujours notre tâche notamment auprès des familles : C’est le grand écart qui existe entre les textes régissant la scolarité des enfants « handicapés » et les moyens mis en face. Et ceci, qu’il y ait au pouvoir un gouvernement de droite ou de gauche. Il est donc absolument nécessaire de faire des liens entre les écrits et la réalité du terrain si on veut comprendre ce qui se passe et surtout ce qui se joue réellement au niveau de la scolarité de ces élèves.

En 2010, en substituant les ULIS (unité localisé d’inclusion scolaire) aux U.P.I (unité pédagogique d’intégration), nous sommes passés d’une politique d’« intégration » à une politique d’« inclusion ». Pour beaucoup d’entre nous, déjà à l’époque, nous nous interrogions sur ce terme « inclusion » qui étymologiquement a quand même pour racine le mot « emprisonnement ». On nous a alors répondu qu’il fallait que nous nous alignons sur le terme européen.

Que peut signifier alors ce terme « inclusion » et que peut-il apporter de plus, de différent, au terme « intégration » ?
Pour cela, je vais m’appuyer sur les écrits de Robert Doré, professeur à l’université du Québec à Montréal :

Pour lui, « L’intégration est ce processus par lequel on essaie de faire vivre à l’inadapté un régime scolaire le plus près possible du régime prévu pour l’enfant dit normal. On associe l’intégration au processus de normalisation... Pour se matérialiser, le processus d’intégration se traduit dans une gamme de services qui vont de la classe ordinaire à l’enseignement en centre hospitalier...
Dans bien des cas, toutefois, l’objectif d’intégration n’était jamais atteint de telle sorte qu’une politique officielle d’intégration pouvait être accompagnée de pratiques permanentes de ségrégation (totale ou partielle). C’est dans une large mesure, en réaction contre des situations d’intégration mitigée (voire de ségrégation) que sont apparues de nouvelles expressions qui font de l’intégration une obligation pour tous et non un objectif à plus ou moins long terme ».

Ainsi pour lui, 1. le concept d’inclusion reflète plus clairement et précisément ce qui est requis : tous les enfants doivent être inclus dans la vie sociale et éducative de leur école et classe de quartier et pas seulement placés dans le courant général.
2. le terme intégration est abandonné puisqu’il implique que le but est d’intégrer un élève ou un groupe d’élèves à nouveau dans le courant principal de l’école et dans la vie communautaire, celui-ci ou ceux-ci en ayant déjà été exclu ; le but premier de l’inclusion est de ne laisser personne à l’extérieur de l’enseignement ordinaire au départ [...] ;
3. l’accent dans les écoles inclusives porte sur comment construire un système qui inclut et est bâti pour tenir compte des besoins de chacun ;
4. finalement, il y a un changement : on ne cherche plus à aider seulement les élèves intégrés qui sont en difficulté ; l’accent est élargi pour tenir compte des besoins de soutien de chaque membre de l’école (le personnel et tous les élèves) pour qu’ils réussissent dans le courant éducatif général.

Si on veut donc aller dans le sens de Robert Doré, la mise en place d’une école inclusive empêche toute forme d’exclusion du système ordinaire et demande que cette école s’adapte à tous les élèves qu’elle reçoit. Il est difficile de ne pas applaudir à cette conception de l’école.

Mais plusieurs questions se posent alors :
- Comment mettre en place une école inclusive sans modifier avant tout le système ordinaire ?
-  En France, a t-on mis en place les moyens de cette politique scolaire ?
Et pour aller encore plus loin : Le projet de l’école peut-il être en inadéquation avec le projet sociétal ?

Une dernière question se pose également : est-ce que toute forme de pratiques ségrégatives telle par exemple les établissements spécialisés est forcément à bannir ?

Car, en même temps que l’on nous présentait le dispositif ULIS, s’est mis en place les MDPH « maisons départementales des personnes handicapées ». Or quelle est la définition du handicap : La loi du 11 février 2005 dans son Article 114 donne la définition suivante du handicap : " Constitue un handicap, au sens de la présente loi, toute limitation d’activité ou restriction de participation à la vie en société subie dans son environnement par une personne en raison d’une altération substantielle, durable ou définitive d’une ou plusieurs fonctions physiques, sensorielles, mentales, cognitives ou psychiques, d’un polyhandicap ou d’un trouble de santé invalidant.

Ainsi si je lis bien les définitions successives, dans l’école inclusive, il ne doit y avoir « aucune limitation d’activité ou de restriction de participation à la vie de l’école » donc aucun élève ne devrait être déclaré handicapé. Sauf que :
Pour que l’élève bénéficie d’une aide quelconque ou d’un dispositif qui lui permette de rester dans le système ordinaire, il faut que sa famille monte un dossier à la MDPH, H comme handicapé ??? premier paradoxe.
De plus, le chemin pour aller vers des dispositifs comme les CLIS ou les ULIS résulte très souvent d’une situation d’échec douloureuse dans le système ordinaire. Deuxième paradoxe.

L’école inclusive doit s’adapter à tous les élèves qu’elle reçoit... Or cette notion d’école inclusive est apparu en France alors que dans le même temps, on réformait les programmes scolaires en primaire (2008) qui alourdissaient considérablement les notions à acquérir et qu’on réduisait à peau de chagrin les réseaux d’aide. Troisième paradoxe.

L’école inclusive s’inscrit enfin au cœur d’une société ultra libérale qui génère de plus en plus d’exclusion sociale et économique. Or pour beaucoup de ces enfants issus de ces familles, l’adaptation à notre norme scolaire s’avère souvent difficile voir par moment impossible. Quatrième paradoxe.

On commence bien à sentir qu’à travers tous ces paradoxes, l’école inclusive telle que la rêve Robert Doré est plus, dans la politique actuelle de l’école, un mythe qu’une réalité.
Et surtout quel sens donné à tous ces paradoxes ?
L’analyse de la réalité du terrain permettra peut-être d’apporter des éléments de réponse à cette question.

J’aimerai rappeler, avant tout, ce que l’école devrait apporter à tout jeune :
1 - un lieu où il apprend intellectuellement, socialement et culturellement
2 - un lieu où il se construit en tant que personne avec notamment la construction de l’estime de soi.
3 -Un lieu où il se construit comme futur citoyen avec la construction de l’esprit critique et la construction d’un projet professionnel.

Sur le terrain, le passage d’UPI à ULIS a eu quelques aspects positifs :
- Tout d’abord, le terme dispositif que j’emploie depuis systématiquement avec mes élèves pour leur signifier que le lieu ULIS est un des lieux où ils vont apprendre et que ce lieu est ouvert vers d’autres lieux d’apprentissage.

- une ouverture vers les autres collègues en rendant en quelque sorte l’inclusion non discutable. En même temps, on s’aperçoit que certains collègues vont prendre en compte la spécificité de l’élève d’ulis et s’adapter dans la limite de leur possible et que d’autres non. Et dans ce cas là, l’inclusion devient souvent compliquée et l’élève n’a plus envie d’y aller.

Nos élèves d’ULIS ont donc deux lieux différents pour apprendre : le dispositif et les classes d’inclusion. Et c’est dans leur projet personnel que se construit ce premier équilibre.
Quand, en tant que coordonnateur de ce dispositif, je construis en début d’année cet équilibre, je fais en sorte que chaque plage scolaire, qu’elle ait lieu sur le dispositif ou dans une classe ordinaire ait un sens pour le jeune. Ainsi il faut que ce temps d’apprentissage puisse le faire progresser sur un des trois domaines définis plus haut. Or dans le contexte actuel du collège, pour qu’une inclusion soit positive pour un jeune, on s’aperçoit qu’il faut, le plus souvent, qu’il soit tout de même dans « une Zone Proximale de Développement » (pour reprendre un terme pédagogique) par rapport au groupe classe concerné, zone qui lui permette, avec l’aide de ressources ou d’étayages, de se mobiliser et d’exécuter une tâche car il sent le défi réaliste. Cette ZDP peut être cependant plus au moins large par rapport à l’ouverture des collègues concernés, par rapport à l’effectif de la classe , par rapport à la difficulté de gérer le groupe (en collège, cette dernière composante prend une grande importance) et enfin par rapport aux objectifs d’apprentissage, sociaux ou culturels fixés dans cette inclusion. Sans oublier qu’il faut également prendre en compte leur capacité à rester une heure dans un grand groupe sans angoisse ou sans « exploser ».
Ainsi, ce jeu d’équilibre, en début d’année, reste une composante majeure de notre travail de coordonnateur.

Je pense également que nos jeune qui ont été, à un moment donné, mis en situation d’échec dans le système ordinaire , ont besoin, pour construire une estime de soi, de ne plus être toujours confronté à une norme. Ils ont également besoin de sentir qu’il ont une place à part entière dans un groupe. Dans leur classe ordinaire, c’est souvent difficile car pour nos élèves « déficients intellectuels » la différence est là, même quand cela se passe plutôt bien. C’est donc dans le groupe ULIS, lieu pourtant où ils sont tous très différents, qu’ils vont pouvoir construire cette appartenance. Ceci en travaillant chacun sur leurs qualités mais aussi sur l’acceptation de leurs difficultés afin de mettre en place des stratégies pour avancer malgré tout.
Certains peuvent aussi rejeter, par moment, cette appartenance qui si elle est mal comprise peut être vécue négativement mais là aussi, cela permet de faire un travail sur le vrai problème : l’acceptation de ses difficultés.
Ainsi, il y a un moment incontournable pour tous les élèves de mon dispositif, c’est « l’heure de vie du dispositif » où ils peuvent se féliciter ou féliciter d’autres (moment souvent fort émotionnellement tant ils ont la capacité de se rendre compte de leurs progrès et des progrès des autres), régler des problèmes ou proposer des idées pour la vie du dispositif.
Je continue également de maintenir l’élection de délégués du dispositif afin qu’ils aient la possibilité de tenir ce rôle car je doute que beaucoup d’élèves d’ULIS soient élus délégué dans leur classe d’inclusion.
La construction du groupe permet aussi de maintenir des projets inter classes - dispositif, seule façon pour certains élèves, de vivre des moments d’inclusion qui ont du sens tant leur niveau scolaire et de maturité est éloigné de ceux des classes ordinaires. (certains de nos élèves arrivent avec un niveau de maternelle).

En inscrivant maintenant chaque élève sur une classe ordinaire, on nous pousse en tant que coordonnateur à sortir de ce travail de « sens » pour aller vers une augmentation de ce temps d’inclusion ? Pour quel profit pour nos élèves ? On ne nous le dit pas. La seule réponse que l’on nous donne, c’est que « c’est la loi de l’école inclusive ». Oui, mais combien j’ai vu d’inclusion où l’élève n’en retirait rien car trop éloignée de ses compétences. Certains réagissent avec un grand sourire appréciant bien inconsciemment cette position du « faire semblant », où on ne les embête pas trop parce qu’ils sont en ULIS. Certains souffrent en silence ou en traînant la patte quand ils doivent aller en inclusion. Certains peuvent finir par déranger le groupe....

On peut aussi nous reprocher que l’on fait du cocooning quand on cherche à maintenir une vie de groupe sur le dispositif alors que pour moi, avec le recul de ma pratique, cela reste fondamental. On peut aussi nous accuser de renforcer des pratiques ségrégatives. Mais pourquoi toute formule où des élèves à besoins spécifiques( pour ne plus parler de handicap) se retrouveraient entre eux serait forcément ségrégative si elle permet au contraire à des jeunes de se « renforcer » » pour pouvoir mieux aller vers le monde ordinaire. Ainsi un jeune autiste a pu suivre les matières scientifiques avec des classes ordinaires après avoir travaillé sur le dispositif une année afin de lui permettre de franchir ce pas.

Alors que cherche t-on à travers le mythe de « l’école inclusive » ?
Une des réponses principales est pour moi une réponse économique :
Sur le terrain, on voit nos effectifs augmenter peu à peu : de 10 , on est passé à 12 puis à 13. Et maintenant, on nous parle de 14 ou 15...
Très peu ont des soins. Et nous ne sommes qu’un professeur et une AVS co à 75% à gérer tout cela.

La dernière journée de formation des coordonnateurs d’ULIS montre que le malaise des coordonnateurs d’ULIS va en s’amplifiant. Il est en effet très difficile de faire face à des injonctions de plus en plus paradoxales tout en accueillant des jeunes de plus en plus en grandes difficultés scolaires ou de comportements. Beaucoup résistent en essayant de maintenir du sens à ce qu’ils font. Mais l’augmentation des effectifs complexifient énormément notre mission et risquent de rendre notre travail beaucoup moins efficace si ce n’est, à un moment donné, impossible. Les premiers à en souffrir seront ces jeunes inscrits sur le dispositif mais obligés de vivre des situations trop difficiles pour eux ou d’autres qu’on aura « leurré » sur leurs véritables apprentissages. Plus dure sera alors la chute à 16 ans quand ils sortiront du dispositif et qu’ils auront atteint l’âge de la fin de la scolarité obligatoire.

Syndicalement, notre lutte peut donc, pour moi, se développer sur deux axes :
dénoncer, en argumentant, le mythe de l’école inclusive tant que l’on ne changera pas auparavant en profondeur le système ordinaire.
Essayer de sauvegarder, faute de mieux, les moyens financiers et humains mis en place jusqu’à présent pour permettre à l’école d’être au moins intégrative. (les réseaux d’aide, les clis et les ulis avec des effectifs viables, la structure SEGPA...)
C’est un moindre mal... en espérant bien sûr qu’un jour, l’école inclusive telle que la définit Robert Doré puisse devenir réalité.

Alphonsine DUPAS