Analyse du projet de "programmes et recommandations pour l’école maternelle"

vendredi 18 septembre 2015
par  PAS 38
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Analyse du projet de
« programme et recommandations pour l’école maternelle »

Après les programmes extrêmement succincts de 2008, élitistes et rétrogrades, détournant les élèves les moins mûrs de la réussite, les programmes de 2014 renouent avec un discours étayé qui s’adresse à des professionnels, explicite sur le pourquoi des orientations didactiques et pédagogiques.

1. Un retour à des valeurs et des discours oubliés par les programmes de 2008

La mission de l’école maternelle est clairement établie : donner aux enfants envie d’aller à l’école pour apprendre. On retrouve quasiment les termes de 2002 sauf que la « conquête de l’autonomie » est remplacée par l’ « affirmation comme sujet singulier ».
La position de l’institution est sans ambiguïté : l’école doit être bienveillante. Sont affirmés : la confiance dans les capacités de chaque enfant d’apprendre et de progresser, la confiance dans son pouvoir d’agir et de penser par lui-même et d’élargir sa propre manière de voir ou de penser. L’école doit s’adapter aux enfants et non les formater. Sont affirmés : la nécessité de donner un temps suffisant à chaque enfant, de porter sur chacun un regard positif pour développer l’estime de soi, d’adopter une pédagogie adaptée à l’âge des enfants ; d’aménager l’espace et le temps de façon à respecter le désir de jeu, de mouvement et de repos ; mais aussi de permettre de multiples formes de vie collective, tout en autorisant des moments de retrait et d’isolement.
Les modalités d’apprentissage prennent réellement en compte l’épanouissement du jeune enfant  : jeu, résolution de problème, expérimentation, exercices récurrents, mémorisation, manipulation avec réflexion, jeu libre, en autonomie, jeu à l’initiative des enfants, possibilité de choix, discussion et questionnement entre enfants. Mais aussi la nécessité d’aménager l’école afin d’offrir aux enfants un univers culturel qui stimule leur curiosité et multiplie les occasions d’expériences sensorielles, motrices, relationnelles, cognitives. Par ailleurs, dans tous les domaines, il est prévu d’expliquer aux enfants ce qu’ils apprennent, pourquoi etc... de donner du sens à leurs apprentissages, de travailler sur des projets. De même, la coopération est mentionnée à plusieurs reprises et sous diverses formes : apprendre ensemble pour vivre ensemble, s’entraider et partager avec les autres, partager des moments communs d’émotion, de plaisir et de réflexion ; l’école maternelle comme lieu d’un premier partage culturel pour tous. Pour chaque domaine d’apprentissage une rubrique est explicite : « conditions et moyens pour permettre aux élèves de réussir ».

2. Des avancées, des nouveautés appréciables par rapport à 2008 et 2002 :

  • d’une manière générale :
    Deux fortes contraintes du travail des enseignants sont précisées : respect des différences d’une part et travail en équipe d’autre part.
    Les enseignants doivent prendre en compte les différences des familles, écouter famille et enfant en respectant leurs points de vue. Non seulement la famille est accueillie à l’école mais les enseignants doivent coopérer avec elle dans le respect des rôles de chacun. La séparation doit être préparée en amont de l’entrée à l’école et doit se faire progressivement.
    Les enseignants doivent d’une part travailler en équipe au sein de l’école mais ils doivent aussi coopérer avec l’ensemble des adultes ATSEM, RASED, développer des liens avec le périscolaire mais aussi la Petite Enfance et l’école élémentaire pour assurer une continuité éducative sur la journée (récré, repos, repas, périscolaire) et sur la socialisation et la scolarité.
  • Sur l’évaluation :
    Le texte affirme que l’évaluation est une mise en valeur des réussites et des progrès des enfants. L’évaluation ne constitue pas un instrument de prédiction mais elle informe sur l’évolution de chaque élève, sur ses progrès. L’enseignant est invité à observer l’enfant au quotidien dans tous les temps de la vie de la classe pour reconnaître ses progrès, d’éviter le travail sur fiche. Ces réussites apparaissent dans un « carnet de progrès ». Les réussites de chacun participent à la réussite de tous et réciproquement. Réjouissons-nous car le mot « compétence » n’apparaît que 9 fois en 70 pages !
  • En Maths :
    La construction de la notion de nombre est limitée à « entre 10 et 20 » en grande section.
    Il est recommandé d’éviter le comptage-numérotage qui fait obstacle à l’accès au nombre. Le texte affirme qu’il faut construire le nombre à partir de l’itération de l’unité et de la mise en relation des quantités, pratiquer le comptage-dénombrement (un jeton et encore un jeton, 2 jetons, et encore un jeton, 3 jetons...), parler des nombres à l’aide de leur décomposition, pratiquer la décomposition-recomposition.
  • On peut noter que ces programmes sont relativement ambitieux dans les domaines « objets, matière, vivant » mais aussi « espace ».

3. Des confusions et des contradictions dommageables, des choix discutables

  • En Maths :
    Le texte long, adressé à des professionnels, essaye de concilier deux approches didactiques que Rémi Brissiaud considère comme contradictoires : l’approche par numérotage, construction du rang qui si elle est première, ferait obstacle à la seconde, à savoir la construction du nombre comme quantité par la mise en relation des quantités (deux c’est un et encore un). Si cette dernière approche réapparaît clairement dans les programmes, elle cohabite avec des pratiques qui pourraient perturber les enfants. Le titre de l’objectif le révèle : « organiser et structurer des quantités ». Rémi Brissiaud suggère le titre suivant : « s’approprier les premiers nombres ».
  • En Langage :
    Tout d’abord, on est frappé par la disproportion entre Langage Oral et Langage Écrit. L’enseignement du langage écrit est énormément développé. Il fera par ailleurs l’objet de 3 documents d’accompagnement : « écrire en maternelle », « modèles d’écriture scolaire » et « les productions d’écrit avec dictée à l’adulte de la MS au CE1 ». Il n’y en a aucun de mentionné sur le langage oral ! Rien n’indique que le langage oral s’enseigne. Il ne suffit pas de décrire les occasions propices au travail de la langue orale, ce qui est bien fait, pour en préciser les contenus précis.
    Aucun repère n’est donné quand à la construction d’un langage oral, ni en syntaxe, ni en vocabulaire (pas de programmation, ni qualitative, ni quantitative). Comment se fait-il qu’il n’y ait pas un document d’accompagnement sur le langage oral alors que la recherche a beaucoup avancée sur cette question ? On aimerait des indications précises sur la manière d’améliorer la syntaxe (qualité et justesse) et le vocabulaire (précision). On voudrait voir apparaître des situations précises, à mettre en place dans la vie de la classe comme par exemple l’entretien du matin pour travailler sur les questions-réponses, des trucs pour encourager les « muets » à prendre la parole, des situations concrètes de théâtre avec ou sans marotte...
    La question de la spécificité du langage oral par rapport au langage écrit n’est jamais abordée. Si l’on se réjouit que les enfants puissent « entendre de l’écrit » on aurait pu espérer que la nécessité de construire un langage oral préalablement (non calqué sur la phrase déclarative écrite) soit affirmé.
    S’il est précisé que le langage oral doit être travaillé en petit groupe homogène, rien n’explicite comment organiser ce travail alors que Philippe Boisseau montre bien que l’enseignant ne peut le faire efficacement s’il doit surveiller les autres « ateliers ».
    En langage écrit, le choix d’enseigner l’écriture en cursive dès la moyenne section paraît discutable. En effet, si cela est accessible à certains enfants, sans doute que tous n’y seront pas prêts sur le plan moteur en particulier. Par ailleurs, le lien entre motricité fine, graphisme et écriture n’est pas clair.

4. Oublis et limites
en vrac :

  • Alors que la prise en compte des différences, des singularités est souvent mentionnée, il n’est jamais question des effectifs comme condition de réussite ! Allez savoir pourquoi !
  • De même, si l’école a pour mission d’accueillir les moins de trois ans, il n’est jamais question de la formation, de la pédagogie ni du mobilier spécifiques et encore moins des effectifs nécessaires.
  • Si la coopération et les discussions entre enfants sont mentionnées, il n’est pas fait état des interactions entre élèves comme objectif ni de la manière de les favoriser provoquer, alors qu’elles sont primordiales pour le langage. Il en va de même pour les projets en petits groupes et leur organisation. On a l’impression que tout tourne autour de l’enseignant, tout doit être maîtrisé par lui : il manque notamment tout ce qui vient des enfants entre eux, avec un enseignant qui encourage cela.
  • Par ailleurs, les débats sont prévus autour d’œuvres, de productions, de travaux mais il n’est pas mentionné les débats philosophiques ou sociétaux lancés par exemple à partir d’un album.
  • Alors que le « vivre ensemble » semble fondamental, il n’est pas question de la résolution des conflits avec et par les enfants, de manière coopérative.
  • S’il est dit dès le début que la distinction entre les domaines d’enseignement n’existe pas pour les enfants, pour autant, certains liens manquent réellement dans les enseignements par la suite : le lien entre arts, graphisme et écriture, le lien entre art et géométrie par exemple. De plus, si la résolution de problème est mentionnée, on ne précise pas qu’il faut des problèmes « vivants » c’est-à-dire qui viennent de la vie de la classe, du vécu des enfants.
  • La production d’écrits, la dictée à l’adulte, les essais d’écriture sont présents mais quid de la créativité à l’écrit, d’écrits pour une vraie communication ?
  • En maths, le passage de la manipulation concrète à l’abstraction pour ceux qui y sont prêts (compter sur les doigts, de tête) n’apparaît pas notamment en GS.
  • Des précisions dans l’étude du milieu seraient bienvenues, le milieu n’étant pas qu’objet de représentation de l’espace mais riche de contenus à observer, à comparer avec d’autres milieux rencontrés.
  • des mots malheureux :
    première sensibilité aux expériences morales, ce terme rappelant une instruction rétrograde d’une autre époque.
    C’est à l’école que les enfants vont découvrir qu’il ne suffit pas d’exécuter pour apprendre, mais qu’il faut aussi s’engager dans l’apprentissage. Comme si dans la vie les enfants attendaient d’exécuter pour apprendre !

5. Une forme et une consultation à questionner

Pourquoi un document de 23 pages dit « programmes de l’école maternelle » et un de 70 pages dit « programmes de l’école maternelle et recommandations » qui détaille les objectifs, conditions de réussites et attendus pour chaque domaine ? Quel sera le statut de chacun de ces textes ?

Il est mentionné 9 documents d’accompagnement : 3 sur le langage écrit (voir plus haut), 3 spécifiques aux maths (« dénombrer », « organiser des situations pour apprendre » et « l’écrit en maths »), « une année d’école maternelle avec les petits » sans doute sur la PS et « banque de situations » vraisemblablement sur le vivant, les objets et la matière. Pourquoi rien sur le langage oral, rien sur les activités physiques ou artistiques, rien sur le temps et l’espace ? Ceci signifie-t-il que le contenu du texte de 70 pages est suffisant pour ces domaines mais pas pour les autres ?

La consultation est « dirigée » par un questionnaire. Or, celui-ci, inévitablement, oriente le regard des enseignants sur certains points en oubliant d’autres. Par exemple, aucune question ne porte sur le vivant, les objets et la matière ; aucune question sur le nouveau découpage des domaines...

Conclusion : Certes, ces programmes sont une réelle avancée par rapport à ceux de 2008 et l’on respire … Toutefois, la demande de clarté demandée par tous depuis la « refondation » n’est pas encore totalement satisfaite. Il y a encore beaucoup à améliorer. Espérons que les avis que toutes les équipes enseignantes feront remonter sans langue de bois permettront d’amender ces programmes prometteurs.

Cécile Duchasténier, 14 octobre 2014


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