Aller voir ailleurs

vendredi 22 mars 2013
par  udas
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Allez voir ce qui se passe ailleurs, du côté des autres systèmes éducatifs.

Pourquoi ?

Certainement pas pour trouver un modèle à suivre mais pour prendre conscience des choix faits actuellement par notre système éducatif et des enjeux de la comparaison internationale de ces systèmes.

Aller voir ailleurs pour mieux comprendre ce qui se passe chez nous, pour analyser ce qu’on peut améliorer, pour comprendre nos écueils voir tirer des enseignements des écueils des autres. En admettant qu’une bonne part des choix éducatifs d’un pays est étroitement liée à sa culture au sens large et donc non transposable.

Du côté de la Finlande :

1) La Finlande a fait des choix :

mettre l’enfant au centre du système. L’enfant doit « apprendre à vivre », sans stress ni pression. L’enfant n’est jamais responsable de son échec. Il doit pouvoir choisir, assez tôt car c’est un facteur de motivation, et décider de certaines choses.
Amener tous les enfants sans exception à un niveau de compétence donné. Les enfants sont accompagnés, soutenus de façon à ne jamais être « en difficulté ». Chacun reçoit une aide en fonction de ses besoins. Il n’y a pas d’élitisme.
Les savoirs visés sont des savoir-faire « utiles » pour la vie, pratiques. Par exemple, il s’agit de résoudre des problèmes de la vie courante, non des problèmes abstraits et encore moins de démontrer.
Ces choix correspondent à une société finlandaise homogène (origine et religion), à une cohésion nationale forte, à un grand sens de l’égalité des chances, à une absence totale d’esprit élitiste et à une langue écrite assez « facile » (correspondance graphème-phonème ; une numération régulière (dix-un ; dix-deux...).

2) Comment fonctionne le système éducatif finlandais ? :

La décentralisation :

Il n’y a pas d’administration centrale ni d’inspection (tout le personnel doit être au service des enfants). Les écoles dépendent des communes qui recrutent, titularisent et paient les enseignants. Les écoles sont financées de façon très égalitaires : les communes riches reçevant moins de participation de l’état que les communes pauvres.
Les programmes nationaux sont un simple cadrage. Ils servent de base à l’élaboration de programmes locaux qui sont ensuite validés par l’agence des programmes.

Rythmes, vie de l’école et enseignement :

Le jardin d’enfants accueille les enfants de 0 à 6 ans. A 6 ans, l’année préscolaire est à cheval entre le jardin d’enfant et l’école. Il n’y a pas d’apprentissages programmés avant 7 ans. L’encadrement est de 3 assistantes maternelles et une aide ménagère pour 12 enfants de 1 à 3 ans et de 2 professeurs, une assistante maternelle et une aide ménagère pour 21 enfants de 3 à 6 ans. Les enfants sont initiés à une matière différente chaque matin (danse, musique, chant, maths, activité manuelle …) et font des jeux et activités libres tout le reste du temps.
Il y a une seule « école », obligatoire de 7 à 16 ans, gratuite (école, cantine, transport, fourniture, soins). De 7 à 13 ans c’est le primaire, de 13 à 16 ans le collège et de 16 à 19 ans le lycée. Il n’y a pas de redoublement.
Les classes peuvent comporter de 12 à 25 élèves mais dans les faits rarement plus de 20. Chaque classe a 3 ou 4 maîtres différents mais polyvalent (6 ou 7 pour le collège) et une classe garde ses maîtres 3 ou 4 ans.
Les séances d’apprentissages durent 45 minutes suivies de 15 minutes de récréation. La classe commence entre 8 ou 9 h selon l’âge et se termine à 13h en primaire, 14h au collège et 15h au lycée. La pause du repas est très courte (1/2h). L’enfant ne reste pas à l’école pour des activités périscolaires.
En primaire, l’enseignement très pragmatique est donné pour toute la classe, à partir de manuels ou par des méthodes actives. Il est demandé très peu d’écrits aux enfants. L’aide est organisée en dédoublant des heures, par co-intervention dans la classe ou par des cours particuliers donnés par des maîtres spécialisés.
Les disciplines enseignées en primaire sont la langue maternelle (pour toutes les minorités), la langue officielle (le finnois) et la littérature (7h hebdomadaires), les mathématiques (3h), l’instruction civique (2 à 3h en primaire !), les travaux manuels et ménagers (4 à 6h), le chant choral (1h commune à toute l’école), la musique, les arts plastiques, la religion ou la morale. Toutefois, les matières obligatoires varient avec l’âge.

L’année est découpée en 6 périodes. Certaines matières sont enseignées de façon régulière toute l’année (ex : la physique, 2-3h par semaine) tandis que d’autres sont « concentrées » sur 3 ou 4 périodes (ex : l’anglais, 4 à 6h par semaine pendant 3-4 périodes). Cette périodisation permet des approches pluridisciplinaires (thématique par exemple), en particulier au collège.
A partir du collège, les enfants ont un tronc commun obligatoire et des modules optionnels qui leur permettent d’approfondir des disciplines qui leur plaisent.

L’évaluation :

De 7 à 13 ans, le niveau des enfants est évalué sans notation. C’est une évaluation positive (valorisation) qui se centre sur les acquis et les progrès. Elle est faite de façon très simple par quelques mots bien choisis pour informer les parents et les enfants. Il n’y a pas de comparaison avec les autres ou avec une norme. Un enfant ne passe une évaluation que lorsqu’il se sent prêt. Au collège, il y a une notation sur 10 mais il n’y a aucune note au-dessous de 4.

« La discipline » :

Il n’y a pas de problèmes de discipline en Finlande. D’après les enseignants, il y a deux bonnes raisons à cela : d’une part l’encadrement est extrêmement serré dès la maternelle, d’autre part les enseignants s’assurent très tôt « que tout le monde saisit ce qui se dit devant la classe ». Ils « ne laissent personne commencer à déranger parce qu’il/elle ne comprend pas » ; « tout le monde est pris en charge rapidement » explique la directrice adjointe de l’école secondaire d’Helsinki. Les enseignants ne font pas porter leur attention sur ce qui perturbe mais sur ce qui fonctionne... et saisissent le moment où l’enfant est disponible pour l’amener aux apprentissages (c’est une pratique commune à l’ensemble d’un corps professionnel et non un discours humaniste).

Le Handicap :

L’école accueille absolument tous les enfants. Dès le jardin d’enfants (qui dépend du ministère de la santé) des séries de test permettent de détecter les troubles de l’apprentissage et les handicaps divers. Les enfants les plus handicapés iront dès le début de l’école primaire vers des classes spécialisées de 5 élèves où ils seront pris en charge par des enseignants spécialisés. Ces classes intégrées dans les établissements permettent qu’ils suivent les cours « ordinaires » dans toutes les matières où c’est possible.

Les enseignants : formation, statut, conditions de travail :

C’est une formation commune à tous les postulants enseignants (primaire, collège, lycée). Elle est universitaire et dure 5 ans (recrutement après le bac, par concours). Le diplôme combine l’étude d’une ou plusieurs disciplines (dans les UFR correspondantes) et l’étude de la pédagogie (à la faculté des sciences du comportement). La dernière année comporte uniquement pédagogie, didactique et stage pratique dans une école d’application au sein de l’université et sous la direction d’un formateur de la discipline. Un mémoire professionnel est rédigé au cours des 2 dernières années. Les maîtres enseignent donc plusieurs disciplines (mais pas toutes !).
Leur diplôme obtenu, les enseignants postulent auprès des communes. Ils ne sont donc pas fonctionnaires d’Etat.
Les enseignants ont la confiance de tous car ils sont considérés comme formés et compétents. Ils ne travaillent jamais seuls, toujours en équipe. Ils n’ont presqu’aucune démarche administrative à faire, pas d’autorisation à demander et ne connaissent pas plus le stress que leurs élèves. D’où un climat serein en classe.

3) Comment la Finlande a-t-elle réformé son système éducatif ? 

Le système éducatif finlandais a été réformé en une vingtaine d’années. Cette réforme a été concertée, progressive et cohérente. Elle s’est fait graduellement, par étapes, sans à-coup ni retour en arrière, en suivant une ligne de progrès, indépendamment des changements de majorité politique. Les parents en furent des acteurs essentiels car ils souhaitaient l’égalité des chances. Les enseignants d’abord dubitatifs ont fondé le Syndicat Unique qui s’est posé en acteur incontournable pour réussir la réforme.

1ère étape, dans les années 70, passage d’une sélection à 11 ans à un bloc unique 7-16 ans. Ça s’est fait progressivement (en 5 ans), région par région de façon à comparer les effets pour une même classe d’âge. L’école, la cantine, les fournitures et les soins deviennent gratuits. Les écoles privées sont nationalisées (exceptées les écoles associatives Freinet ou Steiner). La décentralisation est mise en place : la responsabilité des écoles est confiée aux communes mais les programmes restent nationaux.
2ème étape, 1985, les groupes de niveaux sont supprimés au lycée (les enfants choisissent des modules et il n’y a plus de groupe-classe). Les programmes nationaux s’allègent et laissent place à des orientations locales pour les compléter.
3ème étape, 1995, les autorités municipales ont toute latitude pour distribuer les fonds qu’elles reçoivent de l’Etat, qui continue de subventionner l’éducation à hauteur de 57%. Les professeurs dépendent directement des municipalités et des établissements pour leur recrutement et leur salaire.
4ème étape, 1998, le « Basic Education Act », équivalant de nos lois d’orientation, fixe les principes et les règles régissant l’éducation fondamentale. Ce texte essentiel est toujours en vigueur aujourd’hui.
Ce système est en constante évolution... mais toujours dans la même direction.

Quel éclairage pour notre système éducatif français ?

J’ouvre une porte pour faire dialoguer entre eux ces 2 systèmes éducatifs mais chacun pourra pousser la réflexion et la partager !

Le système finlandais est extrêmement cohérent. Il s’est donné les moyens de mettre véritablement en oeuvre les choix faits : formation identique de tous les enseignants dans le même état d’esprit, nombre très élevé d’enseignants et bonnes conditions de travail. Les enseignants adhèrent massivement aux choix politiques qui ont été fait ainsi qu’aux pratiques pédagogiques auxquelles ils sont formés. Cette cohérence s’inscrit dans la durée.

A contrario, les choix du système français manquent de cohérence :
Dans les années 70, la France a aussi fait le choix d’amener tous les enfants à un niveau de compétence donné avec le « collège pour tous ». En 1989, la France a également mis l’enfant au centre, au moins dans son discours et dans sa loi d’orientation. Par contre, le système éducatif français a presque toujours privilégié les savoirs savants, la culture des examens et la compétition individuelle. Quelle cohérence peut-on construire quand ce troisième choix paraît en profonde contradiction avec les deux autres ?

Les pratiques pédagogiques à mettre en oeuvre ne font pas consensus :
Malgré une meilleure connaissance de l’enfant et des progrès considérables en pédagogie, de profonds désaccords persistent entre les enseignants, paralysant toutes tentatives de transformation comme la mise en place des cycles dans le premier degré, un collège non selectif, des méthodes actives. Les enseignants sont « tiraillés » : Comment transmettre à chaque enfant un bagage minimal (socle commun), au risque de faire baisser le niveau, et dans le même temps permettre à chacun de développer le plus loin possible sa formation intellectuelle ? Savoirs savants ou savoirs pratiques ? Plus récemment, savoirs ou compétences ? (L’Europe -et le patronat- veulent imposer les compétences). L’enfant au centre pour s’appuyer sur sa motivation, par des méthodes actives, ou le savoir au centre pour faire entrer l’enfant dans ce monde qui lui préexiste ? …. Refonder nécessiterait d’apporter des réponses claires à ces questions riches et indispensables.

Les enseignants sont malmenés : défiance, injonctions contradictoires...
La hiérarchisation est forte : pilotage serré, charges administratives chronophages disuadant tous échanges horizontaux et toute innovation. Une culture du chiffre est mise en place pour atteindre les objectifs d’économies de la LOLF et elle s’accompagne du fichage des élèves et de leurs compétences, liberticide et absurde (traçabilité et codage binaire). Tout cela dans le contexte d’une société française de plus en plus élitiste et inégalitaire. Comment un système éducatif peut-il atteindre les objectifs qu’il se fixe s’il ne fait pas confiance aux enseignants et s’il ne s’en donne pas les moyens financiers ?

Le système éducatif français oscille au gré des changements de majorité politique. La situation s’est considérablement agravée lorsque des ministres ont tourné le dos au terrain et à des décennies d’évolution pédagogique. Les changements incessants des années 2000 et le management autoritaire ont insécurisé les enseignants, qui n’ont plus confiance et deviennent sceptiques voire réfractaires à toute réforme. Ces errements et incohérences ainsi que le management constituent un des freins principaux à une véritable refondation.

L’absence de concertation empêche toute inscription d’une réforme dans le temps :
Sans accord national sur des choix précis ni sur les objectifs donnés à la scolarité obligatoire, aucune réforme ne peut être véritablement mise en oeuvre par ses principaux acteurs, les enseignants et ne peut résister aux changements politiques. La France souffre d’une absence de culture de concertation ouverte. Une adhésion massive des enseignants comme de tous les citoyens nécessite qu’ils soient durablement associés aux choix faits, aux décisions prises.

La « mise en concurrence » des systèmes éducatifs mondiaux les fragilise :
Elle s’inscrit dans la mondialisation ultralibérale et affaiblit notre propre système. La lecture univoque donnée des résultats aux tests de PISA contribue à déconsidérer notre système français malgré ses forces. En effet, les résultats des petits Français à PISA sont nécessairement moins bons que ceux des petits Finlandais puisque les programmes français visent moins des savoirs pragmatiques, des compétences transdisciplinaires (sur lesquels s’appuie PISA) que des connaissances théoriques, des savoirs disciplinaires. Peut-on comparer des résultats quand les objectifs diffèrent ? C’est au nom de PISA que depuis 2005 on a recentré l’éducation française sur les apprentissages dits fondamentaux alors que PISA soulignait la faiblesse de la communication, de la méthodologie et des capacités de transfert des savoirs des élèves français !
Un nouveau dogme éducatif international nivelle les politiques éducatives et empêche chaque pays de faire « ses » choix, de suivre « ses » orientations.

Pour conclure, je crois qu’il nous manque essentiellement une véritable cohésion nationale durable autour d’un projet. Ce projet ne doit pas être celui d’un consortium international, à forciori s’il est à la solde du patronat, mais bien celui des français. Je suis convaincue que seule une concertation nationale durable, institutée, ouverte à toute la société, permettrait de trouver une ligne directrice, de retrouver une cohésion au sein de l’éducation nationale ainsi que dans le pays.

Article écrit par Cécile Duchasténier, 12 mars 2013
complété par Michel Duckit et Claude Didier

sources :
L’education en finlande : les secrets d’une etonnante reussite, de Paul Robert, 2009
A la découverte de l’école en Finlande,article de Rémy Jost, Inspecteur général de l’Education Nationale, dans la revue
Activités mathématiques et scientifiques, n° 62, septembre 2007
L’imaginaire réformateur, Pisa et les politiques de l’école, Nathalie Bulle, janvier 2010
En Finlande, la quête d’une école égalitaire, Philippe Descamps, Le monde diplomatique, janvier 2013


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