Rythmes scolaires : pour une approche professionnelle et non corporatiste !

jeudi 15 novembre 2012
par  udas
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Rythmes scolaires : pour une approche professionnelle et non corporatiste !

Il est évident que la question des rythmes scolaires est des plus difficiles. Elle touche aux enfants, aux enseignants, aux parents, aux autres personnels, aux transports, à la cantine, aux animations périscolaires, aux garderies et crèches …
Elle touche à la journée, à la semaine, à l’année, au travail, aux loisirs, aux vacances, au tourisme, voire … aux pratiques religieuses (quel que soit ce qu’on en pense la loi prévoit que les différentes confessions doivent être consultées), etc …
Elle touche aux besoins spécifiques de l’outre-mer.

Le constat c’est qu’actuellement on vit du grand n’importe quoi à tous les niveaux.
La semaine de quatre jours.
L’aide personnalisée stigmatisante et hors classe, durant la pause méridienne ou le soir après 6 heures de classe, pendant que les copains (les bons élèves) jouent ou pratiquent des activités choisies.
Les stages de remise à niveau.
Les devoirs écrits.
Les évaluations nationales, le couple évaluation-remédiation, le pilotage par les résultats, la compétition scolaire, le chacun pour soi.
Le socle commun et le LPC, la traçabilité.
Les programmes de 2008.
La mise à mort des RASED.
Les classes surchargées sans espace.
L’autoritarisme de la hiérarchie.
La déresponsabilisation des adjoints, l’abandon de la souveraineté dynamique du conseil des maîtres au profit d’un statut de direction stérile. La pédagogie envahie par la technocratie et par la nostalgie du prétendu âge d’or de l’Ecole.
L’absence de formation.
Les vacances d’été de 8 ou 9 semaines.
La journée de 6 heures de classe frontale.
Le nombre très faible de jours de classe par an.
Le stress de la vie quotidienne pour tous, à l’école, dans l’entreprise ou à la maison.
L’aménagement du territoire en France avec des déplacements pendulaires démesurés.
Les règles de notre mouvement qui nous font travailler plus loin de chez nous.
La crise sociale …

Tout cela pèse en mal sur les rythmes scolaires et de vie.

Pour nous professionnels de l’Education, la question fondamentale qui devrait nous préoccuper est celle des besoins des enfants. Elle devrait être liée à nos conditions de travail et encore à nos conditions de vie.

Une approche professionnelle du sujet devrait partir des contenus et des démarches d’enseignement, de la pédagogie nécessaire à la formation des futurs citoyens épanouis, créatifs, critiques et solidaires, du nombre d’heures annuelles des élèves que l’on estime nécessaire pour y arriver, et des recherches des chronobiologistes...

Les enseignants savent bien qu’il est très pénible de rester concentrés pendant trois heures de conférence, même passionnante.

Les enseignants savent bien qu’il est très pénible de rester concentrés pendant trois heures de conférence, même passionnante. La diversité des formes pédagogiques pratiquées joue un rôle évident en terme de fatigue scolaire. La succession de temps d’écoute subis (leçons magistrales) et d’exercices individuels écrits anxiogènes a été plus qu’encouragée par les programmes élitistes de 2008 et exacerbée par la pression du pilotage aux résultats, autour des évaluations nationales. Des enseignants sereins, sans le stress du management autoritaire, sont susceptibles de favoriser au contraire des formes de travail plus vivantes et plus enthousiasmantes pour les enfants. Ces derniers, motivés grâce à ces formes de pédagogie active, favorisant l’entraide et la réussite, sont moins exposés à la fatigue liée aux rythmes scolaires. Même si des moments de pédagogie frontale ont toute leur place : un conte, une synthèse dirigée par un enseignant … ou un élève ! Même si des exercices purement scolaires ont aussi leur place, inscrits par exemple dans des plans de travail développant l’initiative et l’autonomie.

Les chronobiologistes, comme le professeur Montagner, soulignent les mérites du temps éducatif long. Les cycles de trois ans, la confiance aux capacités de progrès, les vertus de projets éducatifs et citoyens dans la durée devraient constituer une rupture forte avec la pression des évaluations couperet, de la compétition et du productivisme, qui n’ont pas leur place dans l’Éducation. Le cycle de la maternelle devrait être un cycle de l’éveil à l’abri des évaluations normatives. L’enfant devrait pouvoir rentrer dans les apprentissages scolaires quand il est prêt  : maintenir le même apprentissage en CP aux enfants nés la même année est injuste et source d’échec. Il faudrait individualiser la manière d’apprendre et son rythme, grâce à de petits effectifs et à des enseignants supplémentaires, plutôt que remédier à des difficultés que nous créons en partie par la rigidité du dispositif !

La journée de classe devrait tenir compte également des horloges biologiques. Les temps de plus grande vigilance sont propices à la structuration des apprentissages, alors que les temps de moindre vigilance, notamment le début d’après-midi, devraient être du temps sujet (l’enfant choisit une activité d’enseignement) ou du temps d’épanouissement et de créativité, y compris du corps, Ce respect des rythmes quotidiens devrait accompagner la rédaction de programmes recentrés sur la pédagogie. Quant à l’aide aux devoirs proposée en fin de journée, elle est plus qu’ambiguë puisqu’elle valide quelque part l’idée que les devoirs sous forme d’exercices écrits existent, alors qu’ils sont interdits. Ce dont les élèves ont besoin c’est d’apprendre à apprendre (un poème, une leçon, une lecture, une recherche), les enseignants devraient être libres d’organiser ces activités de méthodologie comme ils l’entendent, à condition de le faire : dans des moments spécifiques ou intégrés à une pédagogie coopérative, avec l’aide des RASED s’il le faut ... Des devoirs écrits sous forme de travail plaisir ou jeu, inscrits dans une pédagogie de l’épanouissement et de la créativité, ne sont pas à exclure pour autant, s’ils sortent de l’exercice d’exécution.

La formation, initiale et continue, devrait accorder une large place aux connaissances de la chronobiologie et à la diversité des approches pédagogiques.

Il est possible de réduire les heures de classe quotidienne (5h par jour pour l’école primaire sans autres heures pour nous à devoir en présence des élèves), à condition de les inscrire dans une semaine plus équilibrée de neuf demi-journées, qui fait l’unanimité des spécialistes, les divergences portant sur le choix du mercredi matin ou du samedi matin. A condition de prévoir également une année avec davantage de jours de classe par la diminution des vacances d’été de deux semaines. Tout cela permettrait justement de se réapproprier le temps éducatif disparu en 2008. Les animations pédagogiques et les concertations pourraient avoir lieu en libérant un mercredi ou un samedi sur trois comme avant. Les pauses de midi et l’après classe dès 15h 30 (sans aide personnalisée sur ces plages) favoriseraient le travail en équipe, à condition que l’administration nous fasse confiance comme avant et abandonne sa triste comptabilité des 108h, qui incite les enseignants à faire leurs heures sans plus. Or peut-on être efficace dans nos missions éducatives en nous contentant de faire nos heures ?

L’outre-mer pourrait développer des solutions spécifiques aux besoins locaux. Les rythmes annuels, hebdomadaires et quotidiens ne sont pas les mêmes à la Réunion ou en Guyane qu’à Paris. En métropole la rénovation écologique des bâtiments scolaires permettrait de faire classe début juillet ou fin août dans de bonnes conditions.

Mais que deviendraient les enfants pendant l’ancienne 6ème heure de classe, libérée ? Là où les municipalités et les associations se sont déjà engagées, à travers des contrats locaux, dans l’animation jeunesse, la chose devrait être facile à mettre en œuvre. Ailleurs, ne serait-ce pas le rôle d’un gouvernement de gauche d’aider à la démocratisation de l’éducation populaire, de la culture et des loisirs collectifs, en aidant les partenariats, en subventionnant les activités, en soutenant l’emploi associatif non précaire ? Le pire serait de livrer les enfants aux inégalités entre communes et de privatiser des activités d’enseignement dites non fondamentales (arts, EPS ...)
Il n’est pas interdit non plus de penser qu’un gouvernement de gauche pourrait relancer le partage et la réduction du temps de travail. Nous ne sommes pas hors sujet : si les parents d’élèves ne travaillaient plus que 6 ou 7h par jour, et plus près de chez eux (en rapprochant emploi et habitat, en développant le télétravail), ils pourraient récupérer leurs enfants plus tôt et être en meilleure forme pour une vie familiale rééquilibrée toute la semaine …

On le voit, la question des rythmes scolaires et de vie concerne toute la société et devrait à ce titre occuper tout le débat politique. En cloisonnant la question des rythmes au scolaire et au périscolaire à moyens constants, sans toucher à la pédagogie ni à l’emploi ni au partage du travail, le ministère et le gouvernement manquent terriblement d’ambition et ne peuvent pas trouver de bonnes solutions globales.

L’image que donnent les grands syndicats enseignants à l’opinion publique sur la question des rythmes est mauvaise, sous la forme d’un corporatisme exacerbé par des années de sabordage de l’Éducation Nationale. On y décèle certes à juste titre la volonté d’une réhabilitation … mais sous la forme de revendications inadaptées : OK pour le mercredi matin, mais revalorisez-nous ! Non au retour aux 25 h ! Non à la double peine ! Pourtant en 2008 on a volé du temps scolaire aux enfants. Tout le monde s’accordait à dire qu’avec la semaine de 4 jours et les programmes de 2008 on manquait de temps pour tout faire, au détriment des activités d’épanouissement. Accabler dans les faits le retour aux 9 demi-journées est déplacé, même si le ministère donne hélas de bonnes raisons pour le faire !
En semblant défendre, et c’est un comble, la semaine de quatre jours (touche pas à mon mercredi ou alors file la monnaie), en comptant les heures hebdomadaires tout en ignorant l’année et le bien-être quotidien, en s’isolant du débat qui devrait toucher toute la société, les grands syndicats d’enseignants ne rendent service ni aux élèves, ni à leurs parents, ni … aux enseignants.

La manière de comptabiliser nos heures nous éloigne de ce qui fait la richesse de notre métier : une tâche globale, où on ne compte pas, où on donne beaucoup quand on y trouve son compte  : le bonheur du pédagogue-chercheur au sein d’une équipe où l’on se fait plaisir en travaillant, quand on nous fait confiance et que la société nous valorise. Un peu comme les artistes et les vrais paysans, autour de l’idée de liberté. Les syndicats n’ont surtout pas à rentrer dans la logique comptable de l’administration, car ils la confortent.
36 déplacements en plus vers son école, ça coûte, certes. Mais les enseignants passionnés par la pédagogie qui n’habitent pas trop loin n’ont jamais compté les déplacements des mercredis, des samedis voire des dimanches pour aller préparer de leur plein gré, dans leurs écoles ou ailleurs, des projets qui suscitent de l’enthousiasme. Quant aux frais de garde du mercredi, sont-ils plus élevés que ceux des quatre soirs passés à l’école (aide personnalisée, corrections, rencontres avec les parents d’élèves) ? Si certaines revendications salariales face à la baisse du pouvoir d’achat (hors promotions) sont justifiées, ainsi que la nécessité de réhabiliter « moralement » les enseignants dans la société, la manière des grands syndicats enseignants de se recroqueviller, dans le débat sur les rythmes, sur des revendications corporatistes, ne fera pas avancer le débat, ne profitera pas aux élèves.

Derrière cette comptabilité d’épicier, pas plus digne que celle que nous impose l’administration avec les 108h, on oublie l’impact sur la santé, sur la réussite scolaire et professionnelle, sur le bonheur de vivre, que peuvent apporter :
un recentrage sur la pédagogie émancipatrice, avec des contenus moins denses et des programmes à revoir dans ce sens,
le respect des différences de rythmes d’apprentissage d’un élève à l’autre,
des journées de classe allégées laissant du temps libre à tous, élèves et enseignants
une aide de l’Etat à la mise en œuvre d’activités d’éducation populaire accessibles à tous,
le partage du travail et le retour à une vie familiale équilibrée tous les jours de la semaine.
Tout le monde a à y gagner.

Le 16-11-2012
Pour l’UDAS
Claude Didier, PAS 38


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