Gilles de Robien, ministre de l'Education Nationale, a adressé
le 4 janvier une circulaire aux Inspecteurs d'Académie et
aux directeurs d'IUFM (formation des maîtres), interdisant
la méthode globale et les méthodes semi-globales.
Coup d'épée dans l'eau ou guerre à la pédagogie
? Voici une analyse des propos du ministre tenus depuis décembre
2005 avec les réactions qu'ils provoquent.
Méthode
globale : on apprend à lire en se passant d'exercices
de syllabique.
Méthode syllabique : on apprend d'emblée à
déchiffrer, par le b-a-ba.
Méthode semi-globale ou mixte : mélange des
deux avec souvent un départ global puis apport de la
syllabique.
Que signifient
ces méthodes si la lecture ou l'écriture n'imposent
pas de lire ou d'écrire des textes qui ont du sens
et de l'importance pour la classe, et qui imposent de voir
ses erreurs et de vouloir les corriger ? Si j'écris
"cra" au lieu de "car", ça n'a
pas beaucoup d'importance pour un simple exercice scolaire;
ça en a plus si, du coup, les correspondants risquent
de ne pas me comprendre et si ce sont mes copains qui me le
font remarquer et pas seulement le maître.
|
Le ministre
affirme avoir été alerté par les orthophonistes
sur une véritable épidémie de dyslexie, liée
à la méthode globale. Il prétend que les raisons
qui ont fait abandonner la méthode syllabique à une
certaine époque n'étaient pas fondées.
- La méthode
globale n'est plus utilisée en France. Les manuels de lecture
sont presque tous mixtes.
- La Fédération
nationale des orthophonistes conteste les propos du ministre :
il n'existe aucune étude montrant scientifiquement des
liens entre méthode de lecture et dyslexie.
- André
Ouzoulias, professeur à l'IUFM, constate que c'est au milieu
des années 60, avec la méthode syllabique, qu'a
eu lieu le boom de la dyslexie (et que plus de 30% des enfants
redoublaient le CP). La syllabique pure a ensuite été
abandonnée car elle formait trop de lecteurs qui ânonnaient
sans comprendre ce qu'ils lisaient
En 1959
déjà, Célestin Freinet, célèbre
pédagogue à l'origine de la pédagogie "
Freinet ", dénonçait ces propos dignes du
café du commerce : " Si les enfants lisent moins
bien qu'autrefois, c'est la faute à la méthode
globale. " |
Dernière nouvelle
Le ministre du culte supprime l'emploi de la cendre dans les
lavoirs.
Monsieur
Duschmoll, ne voulant pas laisser le monopole de mesures aussi
radicales à Monsieur De Robien est intervenu lui aussi
:
" Dans la même lignée, je propose d'interdire
aux veuves de guerre de l'Ile d'Ouessant, la pratique désastreuse
qui consiste à laver le linge à la main en utilisant
de la cendre de bois. Il est scientifiquement prouvé que
cette méthode est en grande partie responsable de leur
veuvage. Elle n'est par ailleurs pas sans conséquences
sur la baisse des statistiques concernant l'efficacité
du lavage en France en 2005.
Par conséquent, dès le mois de Janvier :
-
les lavoirs de l'île d'Ouessant seront vidangés ;
- il sera interdit de brûler du bois sur l'île ;
- une grande surface d'électro-ménager sera construite
pour permettre aux lavandières soucieuses de leur niveau
professionnel, d'améliorer leurs compétences.
En cas de récidive, une visite de Nicolas Sarkozy serait
programmée sur l'île pour envisager la taille du
déploiement policier à préconiser."
De notre correspondant permanent à l'Ile de Sein
Paul
Le ministre
affirme que les neurosciences permettent aujourd'hui de dire que
l'approche à départ global est mauvaise
et
qu'on observe sur cette question un consensus remarquable de la
communauté scientifique.
- Un collectif
de formateurs, de maîtres de conférence et de chercheurs
conteste les certitudes du ministre sur les neurosciences.
Le ministre
constate que 15% des élèves quittent l'école
élémentaire sans savoir lire et affirme donc qu'il
faut revenir aux méthodes syllabiques.
- Les 15% des
élèves qui quittent l'école élémentaire
sans savoir lire se partagent entre 4% qui ne savent pas déchiffrer
et 11% qui déchiffrent mais ne comprennent pas ce qu'ils
lisent.
- Aujourd'hui
4% des 18-24 ans rencontrent des difficulté de lecture
contre 14% des 40-54 ans et 19% des 59-65 ans, qui ont tous appris
avec la méthode syllabique.
- S'il y a
aujourd'hui 4% de non-lecteurs en 6ème, il y en a 11% en
ZEP où les méthodes de lecture sont sensiblement
les mêmes qu'ailleurs.
Le ministre
dit : " La méthode " à départ global
" rend beaucoup plus difficile l'acquisition du code alphabétique.
Certes, elle donne l'illusion de savoir lire très tôt
puisque l'enfant sait reconnaître immédiatement une
petite collection de mots. Mais rapidement la mémoire est
saturée. Et la lecture se transforme en un exercice de devinettes
! Voyez le film " Etre et avoir ", et l'enfant qui voit
le mot " ami " et prononce le mot " copain "
! "
Si, dans
un premier temps, l'enfant qui ne maîtrise pas encore
la lecture lit " copain " au lieu de lire " ami
", c'est une qualité essentielle et prioritaire
de la lecture : à la recherche de sens, il anticipe,
il a compris le sens de la phrase. Bientôt, il disposera
des outils pour différencier les deux mots.
Un lecteur adulte entraîné anticipe énormément
quand il lit, il devine les mots dans le contexte, en ne lisant
bien souvent que la première syllabe de chaque mot. Il
ne vérifie la totalité du mot qu'en cas de problème
de sens. |
- Une enquête
de l'Education Nationale de 1995 insistait sur le rôle primordial
de l'enseignant dans la réussite des élèves
en lecture, quelle que soit la méthode : regard positif
sur l'enfant, encouragements, aide personnalisée, bilan
individuel des acquisitions. En outre Célestin Freinet
rappelait que le fonctionnement des processus d'apprentissages
de la lecture n'est pas le même chez tous les individus
et ne saurait être préétabli comme règle
uniforme et obligatoire.
- Les programmes
définissent les apprentissages de la lecture bien au-delà
du seul déchiffrage et le ministre ferait bien de les respecter.
- Pierre Frackoviak,
inspecteur de l'Education Nationale : " Pour la majorité
des chercheurs sérieux, apprendre à lire n'est pas
d'abord une activité mécanique, c'est d'abord une
activité intellectuelle
Il faut savoir qu'un enfant
ne peut apprendre à lire :
- s'il ne comprend pas que l'écrit a une fonction, un sens,
- si l'écrit support d'apprentissage est totalement étranger
à l'écrit qu'il connaît (notamment les écrits
de la vie quotidienne),
- si l'apprentissage de la lecture n'opère que sur des
automatismes,
- si l'apprentissage n'associe pas en permanence et dès
les premiers pas la lecture et l'écriture : pas que des
dictées de mots et de syllabes, mais de l'écrit
pour communiquer. "
- L'enfant
doit donc déjà avoir accès à différents
types d'écrits (dont la littérature jeunesse) qui
répondent à ses questions, à son désir
de connaissance, à son désir de communiquer; il
doit être en situation réelle d'écriture (correspondance,
journal scolaire, cahier de vie, album
);
- Il doit être
familiarisé avec les mots et les tournures de phrases de
l'écrit (différents de l'oral), il doit pouvoir
se repérer dans un texte et être capable de rechercher
des indices de sens (illustrations, titres, mots connus
),
il doit pouvoir tout petit s'essayer à des comportements
de lecteur expert: reconnaître rapidement des mots; élargir
son empan visuel (trop d'enfants souffrent de ne pas être
capable d'autre chose que de décortiquer les mots en syllabe,
sans même reconnaître d'un coup d'il des mots
pourtant 100 fois rencontrés parce que, contraints de ne
faire que déchiffrer, ils ont repoussé toute autre
stratégie. Il tout de même étonnant que le
ministre ne conseille jamais aux enseignants de permettre aux
enfants de faire ce que fait un lecteur confirmé (ceux
qui ont les meilleurs résultats aux évaluations).
- Comme dans
tout apprentissage, il doit s'être familiarisé à
anticiper, puis à vérifier ses hypothèses.
Il est donc nécessaire de travailler sur des écrits
porteurs de sens pour lui.
- Il doit s'être
exercé en phonologie (distinguer les syllabes et les sons
d'un mot).
- Il doit avoir
une idée de la façon dont il est en train d'apprendre
à lire : la plupart des enfants en échec répondent
qu'il faut pas faire de bruit, et bien écouter la maîtresse,
alors que ceux qui réussissent ont des idées beaucoup
plus précises sur l'utilité de ce qu'on leur fait
faire en classe et sur comment ils vont faire pour y parvenir
: "Alors, pour m'en rappeler, je me le redis plusieurs fois
".
Démarrer
la syllabique sans avoir renforcé toutes ces compétences
a-t-il un sens ? Quand le ministre dit que l'élève
devra passer rapidement d'une lecture mot par mot à la lecture
de phrases et de textes, quand il dit que, par la familiarisation
avec des livres adaptés à son âge, l'élève
étendra sa culture et donnera plus de sens à la lecture,
ne fait-il pas les choses à l'envers ?
"Ce
n'est pas en mettant des mots sur les parties d'un vélo
et en apprenant à pédaler dans le vide ou sur
un engin d'appartement qu'on apprendra à rouler à
vélo. C'est en roulant ! " Célestin Freinet |
Papa lave
la salade, et surtout pas maman car son 2ème a ne fait
pas " a ". Pierre Frackoviak
(et non pour une cause féministe, NDLR) |
Gilles de
Robien affirme que " Les méthodes à départ
global
présentent pour les enfants les plus fragiles
ou les moins accompagnés à la maison un véritable
risque : celui de tomber dans des difficultés ensuite insurmontables
pour acquérir correctement le code alphabétique. "
- Se constituer
une banque de mots avant de démarrer la syllabique (méthode
semi-globale) présente pourtant un gros avantage : si l'enfant
connaît les mots " balançoire ", "
bateau ", " en bas ", il pourra observer que ces
trois mots font " ba " à l'oral et contiennent
b et a, il comprendra alors solidement pourquoi et progressera
vite ensuite car le b-a-ba aura pour lui un sens. Que signifie
pour un enfant " fragile " le b-a-ba le 1er septembre
du CP, qui risque alors de rejeter ce langage qu'il ne comprend
pas ?
Le ministre
décide que l'évaluation de début de CE2 sera
avancée en début de CE1. " C'est un tournant,
soit on sait déjà lire en début de CE1 et tout
est possible, soit on ne sait pas, on décroche et on est
déjà stigmatisé. A la fin du CP, tous les élèves
devront avoir acquis les techniques du déchiffrage et les
automatismes qui permettront la lecture autonome. Tous ceux qui
ne savent pas lire bénéficieront de PPRE (Plan Personnalisé
de Réussite Educative) pour " rattraper le retard et
repartir ", pour devenir réellement lecteurs en fin
de CE1.
- Terminé
l'esprit du cycle 2 (on apprend à lire sur trois ans, de
la grande section au CE1), la lente maturation de l'élève,
qui lui permet dans bien des cas de " décoller "
en fin de CE1 voire en début de cycle 3 grâce à
la confiance qu'on lui accorde, à la sérénité
qu'il ressent et au soutien qu'on lui apporte (enseignant et réseau
d'aide). On risque au contraire de sélectionner par l'échec
beaucoup plus tôt et de stresser davantage les parents d'élèves.
Le ministre ajoute que " les parents qui achètent chaque
année 100 000 exemplaires d'une célèbre méthode
syllabique ne le font pas sans raison. " Il a demandé
aux éditeurs de faire le ménage dans leurs catalogues,
et à l'Association des Maires de France que les communes
ne financent plus les méthodes jugées inefficaces.
- André
Ouzoulias, professeur d'IUFM : " La chasse aux sorcières
est ouverte
A quand les autodafés ? "
Après la bonne façon d'enseigner la colonisation,
la bonne façon d'apprendre à lire ?
Les enfants peuvent-ils apprendre sereinement s'ils sentent que
leurs parents ne font pas confiance aux méthodes de l'enseignant
?
" Je préconise une méthode de lecture
plus carrée pour ne plus tourner en rond : les élèves
comme les maîtres ont besoin de stabilité. Ensemble,
avançons avec confiance vers l'avenir ! "
Discours du ministre de l'affliction publique du 3 vendémiaire.
La
syllabique, ce n'est pas automatique. Parlez-en à votre
instit !
|
Gilles de
Robien : " La liberté des enseignants s'exerce dans
le respect des programmes et des instructions du ministre. La liberté
pédagogique n'est pas la liberté de faire n'importe
quoi. "
- Qui fait
n'importe quoi ? Le ministre pourrait commencer par respecter
les programmes. Il méprise des années de pratiques
professionnelles, de recherche, de réflexion et d'échanges
en tentant de modifier les programmes de manière personnelle
et immédiate (ce qui crée un dangereux précédent).
- En réalité,
il s'attaque à la liberté pédagogique et
remet en cause la pleine responsabilité pédagogique
des enseignants. André Ouzoulias explique que ces derniers
ne choisissent pas une méthode de lecture par idéologie
mais pour des raisons professionnelles (validées par les
inspecteurs, NDLR). Il rappelle que ce sont les inspecteurs qui
contrôlent le travail des enseignants et non des groupes
de pression (élus, parents) : c'est une garantie d'indépendance
et d'efficacité pour l'application des programmes.
"
Il faut faire confiance aux instituteurs et renoncer à
instaurer le couvre-feu pédagogique. "
Roland Goigoux, professeur d'université. |
C'est l'absence
d'enquête scientifique sur les pratiques des classes et l'absence
d'analyse et de diffusion des innovations réussies qui laissent
la porte ouverte à des propos faciles comme : " C'est
la faute aux pédagos, c'est la faute à la pédagogie
! ", surtout quand les médias s'y mettent aussi.
Pourquoi faire compliqué, comme ces chercheurs et ces syndicalistes
qui insistent sur l'importance de la formation des enseignants,
des conditions de travail dans les classes, du contexte social difficile,
qui pèsent forcément sur les apprentissages
Est-ce par hasard
si ce " débat " sur les méthodes de lecture
a lieu en pleine course aux chiffres dans l'Education Nationale
: inflation des évaluations vers une concurrence entre les
écoles, réduction des dépenses avec le non-remplacement
des départs à la retraite, la concentration des écoles
qui entraîne des suppressions de postes et des classes plus
chargées, la régression de la formation continue,
les incertitudes sur la formation initiale
Jean-François
Vincent, président de l'OCCE (Office Central de la Coopération
à l'Ecole), oppose :
- une conception " descendante " de l'enseignement (gavage
des oies, NDLR), par mémorisation, répétition,
individualisme et compétition, avec perte du sens réel
de l'apprentissage pour nombre d'élèves et méthodes
qui conduisent à la mésestime de soi,
- l'apprentissage coopératif, fait d'entraide, de solidarité,
de recherche, d'essais et d'erreurs, en apprenant avec les autres,
par les autres, pour les autres et non seul contre les autres.
Transmettre
le goût de la lecture (plaisir de lire en autonomie, désir
d'aller à la bibliothèque, attente d'un abonnement
avec impatience, curiosité pour les informations écrites
de la vie quotidienne, dans la rue, à la maison et à
la télé), compétence essentielle pour la réussite
scolaire, peut-il se faire, comme le demande le ministre, par un
apprentissage mécanique ?
Les preuves scientifiques qu'il cite ne sont que des points de vue
très contestables et très réducteurs de l'état
de la recherche sur l'apprentissage de la lecture.
Ne peut-on
pas plutôt, comme Célestin Freinet, chercher à
concilier la rigueur technique, la sensibilité et l'intelligence
? Et pour cela, ne peut-on pas respecter l'indispensable liberté
pédagogique des enseignants et leur pleine responsabilité
pédagogique ?
Ne peut-on pas garantir les moyens financiers nécessaires
pour une politique de réussite scolaire de tous, ce qui devrait
être une priorité nationale absolue, inscrite dans
la loi, et non rester des vux pieux ?
Remise en
ordre et au pas
Sleon une
édtue de l'uvinertisé de Cmabrigde, l'odrre des
ltteers dans un mot n'a pas d'ipmrotncae, la suele coshe ipmrotnate
est que la pmeirère et la drenèire soeint à
la bnnoe pclae. Le rsete puet êrte dans un dsérorde
ttoal et vuos puoevz tujoruos lrie snas porlbème. C'est
prace ue le creaveu hmauin ne lit pas chuaqe ltetre elle-mmêe
, mias le mot cmome un tuot.
La peruve
Arlos ne veenz puls m'ememdrer aevc les corerticons
otraghrohpiqeus.
Gllies de Rbieon |
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